Histoire / La saga Emery – Partie 1 : L’arrivée à Valence dans le chaos

Passé aux commandes du Valence CF de 2008 à 2012, Unai Emery a marqué une époque au sein du club espagnol, qu’il retrouve en demi-finale de Ligue Europa avec Arsenal, mais aussi irrité un public exigeant par ses méthodes de management modernes et une personnalité trop forte. Son arrivée lors de l’été 2008 a parfaitement symbolisé le désordre total qui a régné au sein du VCF il y a une décennie.

Unai Emery – Valencia-Sports
Comment durer sans irriter ? Comment survivre si longtemps à une lessiveuse ? Ce sont les principales questions qui se sont posées lors du départ d’Unai Emery de Valence en mai 2012. Si l’homme aux cheveux gominés a fait perdurer avec un certain succès la longue tradition d’exportation du football basque à Valence, son bilan est aujourd’hui plus sujet à la critique qu’aux louanges. Les résultats stables, mais inégaux, de son Valence ont fait basculer son excellent travail de fond du mauvais côté de la balance. Car le Basque n’a pas eu tous les détails de son côté.
Travailleur acharné, révolutionnaire dans son approche du management, avide de connaissance et de psychologique, l’ancien joueur, passé à l’âge précoce de 36 ans à la tête d’un club tête de mule au contexte de poudrière, n’a laissé personne insensible dans la cité méditerranéenne où il a gardé de fortes accroches. Retour sur quatre années de stabilité sportive, sous fond de crise financière et institutionnelle et de passage aux années 2010. Cette première partie sera consacrée à l’arrivée chaotique d’Emery à Valence. Une histoire comme seul le VCF pouvait en offrir.
L’arrivée contrariée en Enfer
Mai 2008. Alors que Valence se remet tout juste de sa pire saison depuis onze ans, un exercice malgré tout marqué par l’obtention d’une septième Copa del Rey, qui est à ce jour le dernier titre remporté, le club décide de repartir de zéro en engageant un entraîneur à valeur sûre. Un homme qui aidera à retrouver les sommets auquel il aspire encore. Ce renouveau sportif est essentiel pour un club qui rejoue les premiers rôles en Liga, mais aussi en Europe, depuis une décennie. Valence sort surtout d’une saison en enfer, complètement massacrée par le passage cataclysmique de Ronald Koeman.
Incapable de se faire adopter par les vieux grognards au CV ronflant qui compose le noyau de l’équipe, le Néerlandais a imposé une autorité excessive et pulvérisé son vestiaire en mettant de côté trois cadres – Santiago Cañizares, David Albelda et Miguel Angel Angulo – qu’il jugeait néfastes. Albelda ira même jusqu’à porter le club devant les tribunaux. C’est de cet effectif, dont les cadres sont en fin de parcours, qu’il faut ranimer la flamme.
Bouleversé par une fin de saison chaotique, marquée par de nombreuses déroutes sportives, dont un humiliant 6-0 encaissé au Camp Nou par le FC Barcelone, et une crainte de descente en deuxième division, Valence va trouver en Marcelino Garcia Toral, l’homme idoine pour son projet. L’Asturien, l’entraîneur qui monte en Espagne à cette époque-là, avait collé une séance tactique au VCF quelques mois plus tôt avec son Racing de Santander. Sa philosophe carrée, elle, colle parfaitement à l’identité développée par le VCF depuis plus d’une décennie. Le candidat idéal à un moment charnière.
Marcelino premier choix mis aux oubliettes
Passé de vice-président à président en mars à la place de Juan Bautista Soler, démissionnaire, mais toujours actionnaire principal et donc décisionnaire, Agustin Morera va se charger de trouver un accord avec l’ancien milieu de terrain, fin prêt pour passer à la case supérieure. Le dirigeant va accéder à toutes les demandes du natif de Villaviciosa dont les méthodes de travail n’ont pas changé une décennie plus tard. Demandes personnelles satisfaites, garanties sportives assurées surtout : Marcelino voit ses exigeantes demandes être acceptées par Valence qui a besoin de retrouver la Ligue des champions au plus vite car le porte-monnaie est vide. Le futur entraîneur du VCF demande surtout des garanties sportives fortes : il dresse une liste de joueurs à conserver à tout prix, ne cherchez pas les noms trop loin, et ceux qui devront partir. Et évidemment, il faudra recruter pour fortifier l’ensemble.
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L’histoire d’amour à venir entre Marcelino et Valence n’aura pas lieu tout de suite. Il faudra finalement attendre neuf ans avant que les deux parties ne se lient pour une histoire passionnée. Alors que Marcelino avait indiqué à sa direction, incapable de le retenir, qu’il avait une proposition de Valence et qu’il allait l’accepter, Juan Soler a tué dans l’oeuf le projet à venir en expliquant que Valence allait être obligé de vendre ses meilleurs éléments, comprenez David Villa et David Silva voulus par toute l’Europe et que MGT n’aurait pas gain de cause sur le sportif. Valence, surendetté à cause du même Juan Soler, n’a pas le choix : il a besoin de récupérer de l’argent frais sur les deux ans à venir. Et il ne retiendra pas ses joueurs les plus “bankable” trop longtemps. Autre problème, le recrutement sera réduit à peau de chagrin. Fin des festivités. Il n’y aura pas de bal avec Marcelino qui ira curieusement exercer ses talents en deuxième division avec le naufragé Real Saragosse.
Le coup de génie de Juan Sanchez
L’idée de placer Unai Emery aux commandes de l’équipe première de Valence est venue de Juan Sanchez Moreno. L’ancien attaquant du VCF, devenu secrétaire technique un mois plus tôt, suite aux changements internes qui ont suivi le départ de Soler, suit de près et valorise énormément le travail du jeune technicien, dont les faits d’armes à Llorca, où il est devenu entraîneur-joueur, puis à Almeria, qu’il va mener de la deuxième division au top de la Liga, ne laissent personne insensible. Son travail de sape mènera à la signature du Basque le 22 mai 2008. Un joli coup pour Valence, dont la réputation de ‘lessiveuse à entraîneurs’, laisse les techniciens européens sceptiques et les locaux méfiants. Pour les deux parties, c’est un nouveau départ. Pour Emery, c’est un saut dans le vide. Mais l’opportunité de sa vie.
Entre mai et juillet 2008, de l’eau a coulé sous les ponts : l’Espagne est devenue championne d’Europe de football le 29 juin et Juan Villalonga, l’ancien boss de Téléfonica, a été placé comme gestionnaire du club par Juan Soler. L’homme d’affaires positionne ses hommes rapidement au sein de la structure du VCF, notamment le Basque Xabier Azkargorta, nommé directeur sportif, une première dans sa carrière de globe-trotter. Surtout, Villalonga, homme d’affaires féroce, veut Luis Aragonés sur le banc. Les démarches entre la nouvelle direction de Valence et l’homme qui porté le football espagnol tout en haut, mais qui s’est engagé avec Fenerbahce, iront loin. Toutes leur tractations ont filtré dans la presse madrilène.
Nous sommes le 14 juillet 2008 : première journée de fonction d’Emery à la tête de l’équipe première. Et cette journée s’annonce longue. La une de la presse sportive nationale concerne Valence et la photo de Luis Aragonés prend toute la couverture de Marca. Harcelé par les journalistes à Paterna, le Basque fait bonne figure. “Je reste le même. Je vais relever ce défi avec beaucoup d’envie. C’est ma mentalité.” Questionné sur une éventuelle blessure quant aux rumeurs entourant Aragonés, le Basque se fend d’un “non” catégorique. Pas le genre de la maison de se brusquer. Mais, oui, il peut être inquiet car la nouvelle direction veut Aragonés à tout prix et sacrifier le jeune Emery, averti des changements à venir au sein de l’actionnariat principal, n’est pas un problème.

Unai Emery – Valencia-Sports
Villalonga et le tout pour Aragonés
A Valence, il faut éteindre les départs de feu perpétuels. Azkargorta, qui vient de prendre le pouvoir sportif au détriment d’un Juan Sanchez relégué au second plan et forcé à démissionner, va donc dans l’arène et dément tout publiquement. “Je n’ai pas eu de contacts avec Aragonés. Villalonga je ne sais pas. Moi, je viens d’arriver ce matin“, assure le Basque dont le parcours d’entraîneur débuté à l’âge précoce de 29 ans ressemble un peu à celui d’Emery. “Evidemment qu’Unai a de quoi être surpris, je le suis moi aussi. Mais je peux vous assurer que notre entraîneur est Unai et qu’on est en train de travailler avec lui. Quand au sujet Luis Aragonés, et bien seul Aragonés pourrait répondre. C’est un vieil ami (…)“, conclut malicieusement le moustachu.
Trois jours plus tard, alors que la presse précise les conditions du retour d’Aragonés à Valence – le technicien compte emmener tout son staff de la sélection espagnole excepté Armando Ufarte qui ne l’a pas suivi à Fenerbahce – Emery est confirmé dans ses fonctions après un entretien d’urgence avec Juan Villalonga. Le Basque a compris qu’il se tramait quelque chose et que ses jours étaient comptés. Prenant son courage à deux mains, Emery s’est déguisé en François Pignon pour parler yeux dans les yeux de son avenir avec son ‘Jean-Patrice Benjamin’. Cet entretien sera celui de la clarification et d’un “hug” qui restera dans les mémoires. ‘Du con’ est bien parti avec Florence et Emery sera l’entraîneur de Valence. “Villalonga m’a rassuré et m’a donné sa confiance totale. Pour moi, cela a été suffisant qu’il me tende la main et qu’il me donne une étreinte. Avec de tels gestes, je sens qu’ils sont convaincus que je suis l’homme de la situation“, dira-t-il après coup. Emery était fixé.
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Sauf que la veille, l’ancien boss de la téléphonie espagnole continuait de jouer le chaud et le froid avec les représentants d’Aragonés, Pepe Navarro et Vicente Montes. Le chaos institutionnel du 14 juillet a déjà affecté son image et il a décidé de changer ses plans : l’arrivée d’el “Sabio de Hortaleza” devra se faire d’ici un mois et non pas dans l’immédiat. Les jours qui suivront relégueront finalement Aragonés au second plan, ce dernier ne souhaitant pas quitter Fenerbahce dans des conditions à la limite de l’acceptable. Emery, lui, gagnera en popularité auprès des suiveurs et du public pour avoir enduré une situation intenable. Mais n’y avait-il pas meilleure entrée en matière pour goûter au contexte si particulier de Valence ? La suite dira que si.

Unai Emery – Valencia-Sports
Soler sauve Emery sans le savoir
L’homme qui sauvera la peau d’Emery sera finalement Juan Soler lui-même. Alors qu’il avait promis de vendre ses actions à Villalonga, le professionnel du BTP change d’avis et vend tout au second actionnaire majoritaire du club, Vicente Soriano, entré au VCF grâce à la puissante famille de Juan Soler, fils de. Soriano devient ainsi décideur et président. Le 25 juillet 2008, le projet de Villalonga, qui souhaitait bâtir une équipe pour Aragonés en récupérant Ruben de la Red et Xavi Hernandez, placé sur la liste des transferts par le Barça quelques semaines avant l’Euro, est déclaré mort-né et le conseil d’administration ressemble à un monument aux morts.
Agustin Morera, l’homme qui avait signé Emery, démissionnera de son poste de vice-président et s’excusera publiquement pour le chaos survenu tout en haut du club ces derniers mois. Villalonga touchera lui dix millions d’euros pour deux semaines de gestion. Juan Soler s’acquittera de lui payer son salaire avant de disparaître à jamais de la vie du club. L’ancien président de Valence ne le sait pas encore, mais il a commis l’erreur de sa vie en faisant confiance à une personne finalement peu fiable.
Les deux hommes signeront l’acte de vente le 4 juillet 2009 contre 85 millions d’euros. Cet argent, Soler n’en touchera pas un centime, ce qui détruira sa vie professionnelle. Ruiné, et sauvé par son père Bautista Junior, le cerveau de la famille, l’ancien dirigeant tentera de kidnapper Soriano en 2014 pour lui soustraire de force l’argent après que des années de procès n’aboutissent à rien. Les deux hommes sont passés devant les tribunaux en octobre 2017.
Un recrutement XXS, mais une première réussie pour Emery
Pour contrer le chaos, place à la stabilité. Nommé directeur sportif, Fernando Gómez Colomer, mythique ancien meneur de jeu du VCF entre 1983 et 1998, confirme immédiatement Emery dans ses fonctions. Si le jeune technicien rêve d’une attaque David Villa – Diego Milito, son seul cadeau sera de pouvoir conserver David Silva, prolongé le 13 août 2008, puis Villa, dont le transfert au Real Madrid, quasiment acté, a été cassé au dernier moment par un habile mouvement politique, suivie d’une prolongation jusqu’en 2014.
Le 2 septembre, Soriano, fier d’être celui qui a dit non au Real, mettra même en doute les actes de la Casa Blanca dans le seul but de plaire aux supporters. “Je n’ai reçu aucune offre de 60 millions d’euros du Real Madrid pour David Villa.” Ce sera son seul fait d’armes de la saison. Le plan de vendre les parcelles de terrain de Mestalla pour finir de financer le Nou Mestalla et renflouer le club, lui, se cassera la gueule. La mauvaise relation de Soriano avec la Bancaja, qui a racheté les prêts bancaires du club, laissent le club au bord de la faillite et en incapacité de verser les salaires pendant plusieurs mois, ce qui détruira la première saison d’Emery.
En guise de recrues, Unai ne pourra avoir mieux que Pablo Hernandez, ailier électrique au teint livide et le gardien Renan Brito, tout juste de retour de Pékin où il a disputé les Jeux Olympiques avec le Brésil, ainsi que les retours de prêt d’Asier Del Horno, Manuel Fernandes et Hugo Viana. C’est peu et inquiétant. Avec la base du VCF de Quique Flores, le Basque bat le Real Madrid (3-2) lors de son premier match officiel, en Supercoupe d’Espagne aller devant le public de Mestalla, et gagne rapidement en crédibilité. Ce match ouvre magnifiquement son ère. Une ère qui va durer quatre ans.
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Alexandre Coiquil
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